La Petite Bibliothèque Verte Hallal

Parce qu'un écrivain qui dénonce l'islam ne peut pas fondamentalement être mauvais.

Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) "Somme contre les Gentils" (les païens) - livre 1, question 6

Saint Thomas d'Aquin Somme contre les gentils islam"...Les fondateurs de sectes ont procédé de manière inverse. C'est le cas évidemment de Mahomet qui a séduit les peuples par des promesses de voluptés charnelles au désir desquelles pousse la concupiscence de la chair.

Lâchant la bride à la volupté, il a donné des commandements conformes à ses promesses, auxquels les hommes charnels peuvent obéir facilement. En fait de vérités, il n'en a avancé que de faciles à saisir par n'importe quel esprit médiocrement ouvert. Par contre, il a entremêlé les vérités de son enseignement de beaucoup de fables et de doctrines des plus fausses.

Il n'a pas apporté de preuves surnaturelles, les seules à témoigner comme il convient en faveur de l'inspiration divine, quand une oeuvre visible qui ne peut être que l'oeuvre de Dieu prouve que le docteur de vérité est invisiblement inspiré. Il a prétendu au contraire qu'il était envoyé dans la puissance des armes, preuves qui ne font point défaut aux brigands et aux tyrans.

D'ailleurs, ceux qui dès le début crurent en lui ne furent point des sages instruits des sciences divines et humaines, mais des hommes sauvages, habitants des déserts, complètement ignorants de toute science de Dieu, dont le grand nombre l'aida, par la violence des armes, à imposer sa loi à d'autres peuples. Aucune prophétie divine ne témoigne en sa faveur ; bien au contraire il déforme les enseignements de l'Ancien et du Nouveau Testament par des récits légendaires, comme c'est évident pour qui étudie sa loi.

Aussi bien, par une mesure pleine d'astuces, il interdit à ses disciples de lire les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament qui pourraient le convaincre de fausseté. C'est donc chose évidente que ceux qui ajoutent foi à sa parole, croient à la légère."

François Rabelais (1494-1553) Pantagruel Chapitre 14 et 29

CHAPITRE 14
Comment Panurge raconte de quelle manière il échappa des mains des Turcs

Le jugement de Pantagruel fut aussitôt connu et entendu de tout le monde, imprimé en nombreux exemplaires, et rédigé pour être conservé aux archives du Palais, en sorte que tout le monde se mit à dire: "Salomon, qui se fonda sur des indices pour rendre l'enfant à sa mère, ne présenta jamais un chef-d'oeuvre de sagesse pareil à celui que vient de faire le bon Pantagruel. Nous sommes heureux de l'avoir dans notre pays."

Et effectivement, on voulut le faire maître des requêtes et président à la Cour; mais il refusa tout, en les remerciant aimablement: "Car on est, dit-il, trop grandement esclave de ces charges, et il est bien difficile pour ceux qui les assument d'être sauvés, vu la corruption des hommes; et je crois que, si les sièges abandonnés par les anges rebelles ne sont pas occupés par une autre sorte de gens, le Jugement dernier n'aura pas lieu avant trente-sept jubilés, et que Nicolas de Cues se sera trompé dans ses conjectures; je vous en préviens de bonne heure. Mais, si vous avez quelque muid de bon vin, je le recevrai volontiers en cadeau."

Ce que les gens firent volontiers, et ils lui envoyèrent du meilleur de la ville, qu'il but assez bien; le pauvre Panurge en but vaillamment, car il était maigre comme un hareng saur: aussi s'en allait-il léger comme un chat maigre. Quelqu'un l'interpella, tandis qu'il avait déjà vidé la moitié d'un grand hanap de vin vermeil, lui disant. "Compère, tout doux! vous sifflez cela comme un enragé. - Je me donne au diable! dit-il. Tu n'as pas en face de toi tes petits buveurs de Paris, qui ne boivent pas plus qu'un pinson et ne prennent leur becquée que si on leur tape sur la queue comme on fait aux passereaux. Oh! compagnon, si je montais aussi bien que je descends, je serais déjà au-dessus de la sphère de la lune avec Empédocle !
Mais je ne sais que diable ce que ceci veut dire: ce vin est fort bon et bien délicieux, mais plus j'en bois, plus j'ai soif. Je crois que l'ombre de Monseigneur Pantagruel engendre les altérés, comme la lune donne les catarrhes."
Là-dessus l'assistance se mit à rire. Voyant cela, Pantagruel dit: "Panurge, qu'est-ce que vous avez en réserve de rire? - Seigneur, dit-il, je leur racontais combien ces diables de Turcs sont malheureux de ne pas boire une goutte de vin. Même si L'Alcoran de Mahomet ne contenait pas d'autre mal, je ne me mettrais point sous sa loi.

- Mais, dit Pantagruel, dites-moi donc comment vous avez échappé de leurs mains.

- Par Dieu, Seigneur, dit Panurge, je ne vous en mentirai en aucune façon.

"Ces gueux de Turcs m'avaient mis en broche tout lardé comme un lapin, car j'étais si maigre que sans cela ma chair aurait fait un fort mauvais mets; et en cet état ils me faisaient rôtir tout vif. Tandis qu'ils me rôtissaient, je me recommandais à la grâce divine, me souvenant du bon saint Laurent, et j'espérais toujours que Dieu me délivrerait de ce supplice, ce qui arriva d'une façon bien étrange car, alors que je me recommandais de tout mon coeur à Dieu, criant: "Seigneur Dieu, aide-moi! Seigneur Dieu, sauve-moi! Seigneur Dieu, tire-moi du supplice où me retiennent ces chiens d'infidèles parce que je garde ta loi!", le rôtisseur s'assoupit par la volonté divine, ou bien par celle de quelque bon Mercure, qui endormit par ruse Argus qui avait cent yeux.

"Quand je vis qu'il ne me tournait plus pour me rôtir, je le regarde et je vois qu'il s'endort. Alors je prends avec les dents un tison par le bout qui n'était pas encore brûlé, je vous le jette au giron de mon rôtisseur, et j'en prends un autre que je jette, le mieux que je peux, sous un lit de camp près de la cheminée là où était la paillasse de Monsieur mon rôtisseur.

"Aussitôt le feu prit à la paille, et de la paille au lit, et du lit au plafond, en boiseries de sapin ornées de culs-de-lampe. Mais le plus drôle fut que le brandon que j'avais jeté au giron de mon paillard de rôtisseur lui brûla tout le pénil, et qu'il allait prendre à ses couillons, mais malheureusement il ne puait pas assez lui-même pour ne pas le sentir avant le jour: sortant de sa torpeur de bouc, il se leva pour crier à la fenêtre de toutes ses forces: "Dal baroth, dal baroth!", ce qui équivaut à peu près à: "Au feu, au feu!", et il s'avança droit sur moi pour me jeter pour de bon au feu; il avait déjà coupé les cordes qui me liaient les mains et il était en train de couper les liens des pieds.

"Mais le maître de la maison, entendant l'appel au feu et sentant déjà la fumée depuis la rue où il se promenait avec quelques autres pachas et muftis, courut de toutes ses forces pour y prêter secours et pour sauver les meubles.

"D'entrée il tire la broche où j'étais embroché, et tua tout raide mon rôtisseur, qui mourut là faute de soins ou d'autre chose: car il lui passa la broche juste au-dessus du nombril du côté droit, lui perça le troisième lobe du foie, puis, dirigeant le coup vers le haut, il lui pénétra le diaphragme, et, traversant la membrane du coeur, lui sortit la broche par le haut des épaules entre les vertèbres et l'omoplate gauche.

"La vérité est qu'en retirant la broche de mon corps, il m'avait fait tomber à terre près des chenets, et je me fis un peu de mal dans ma chute, pas trop toutefois, car les lardons amortirent le choc.

"Puis, mon pacha, voyant que la situation était désespérée, que sa maison était brûlée sans rémission et que tout son bien était perdu, se donna à tous les diables, appelant Grilgoth, Astarost, Rapallus et Gribouillis, neuf fois de suite.

"Voyant cela, j'eus peur pour plus de cinq sous; je me disais dans ma frayeur: les diables vont venir bientôt pour emporter ce fou. Ne seraient-ils pas gens à m'emporter moi aussi? Je suis déjà à demi rôti. Mes lardons causeront ma perte, car ces diables-ci sont friands de lardons, comme vous le savez sur l'autorité du philosophe Jamblique et de Murmel dans La Défense des bossus et contrefaits, en faveur de Nos Maîtres. Mais je fis le signe de la croix, en criant: " Dieu est saint et immortel!" Et personne ne venait.

"S'en rendant compte, mon vilain pacha voulait se tuer avec ma broche et s'en percer le coeur. Effectivement il la mit contre sa poitrine, mais elle ne pouvait pas pénétrer, car elle n'était pas assez pointue; et il poussait de toutes ses forces, mais il n'arrivait à rien.

"Alors je vins à lui, et lui dis: "Missaire Bougrino, tu es en train de perdre ton temps, car tu ne te tueras jamais ainsi; tu te feras une bonne blessure dont tu souffriras toute ta vie entre les mains des barbiers; mais, si tu veux, je te tuerai ici tout net, de sorte que tu ne sentiras rien, et tu peux me croire, car j'en ai tué bien d'autres qui s'en sont trouvés bien.

- Ha, mon ami, dit-il, je t'en prie! et avec ma prière, je te donne de ma bourse. Tiens, la voici. Il y a six cents dinars dedans, et quelques diamants et rubis de toute beauté."

- Et où sont-ils? dit Epistémon.

- Par saint Jean! dit Panurge, ils sont bien loin, s'ils courent toujours.

Mais où sont les neiges d'antan?

"C'était le plus grand souci de Villon, le poète parisien.

- Achève, dit Pantagruel, je t'en prie, que nous sachions comment tu arrangeas ton pacha.


- Foi d'homme de bien, dit Panurge, je n'en mens pas d'un mot. Je le bande avec une méchante braie que je trouve là, à moitié brûlée, et je vous le lie à la paysanne, pieds et mains, avec mes cordes, si bien qu'il n'aurait su bouger une patte; puis je lui passai ma broche à travers la gargamelle et le pendis, accrochant la broche à deux gros crampons qui soutenaient des hallebardes; je vous attise un beau feu au-dessous, et vous flambais mon milourd comme on flambe les harengs saurs dans la cheminée. Puis, prenant sa bourse et un petit javelot qui était sur les crampons, je m'enfuis au grand galop, et Dieu sait si je sentais la toison de mouton!


"Une fois descendu dans la rue, je trouvai tout le monde qui était accouru au feu avec beaucoup d'eau pour l'éteindre, quand ils me virent ainsi à moitié rôti, la nature leur inspira de la pitié pour moi; ils me jetèrent toute leur eau sur moi, me rafraîchissant agréablement, ce qui me fit beaucoup de bien; puis ils me donnèrent quelque peu de nourriture, mais je ne mangeais guère, car ils ne me donnaient que de l'eau à boire, selon leur coutume.


"Ils ne me firent pas d'autre mal, si ce n'est qu'un vilain petit Turc, bossu par-devant, croquait furtivement mes lardons; mais je lui donnai de si rudes torgnoles sur les doigts avec mon javelot qu'il n'y revint pas deux fois; et il y eut aussi une fillasse de Corinthe qui, m'ayant apporté un pot de myrobolans aphrodisiaques confits selon leur coutume, regardait comment mon pauvre diable de membre émoussé avait battu en retraite devant le feu, car il ne me descendait plus qu'aux genoux. Mais notez que ce rôtissage me guérit entièrement d'une sciatique, à laquelle j'étais sujet, depuis plus de sept ans, du côté où mon rôtisseur en s'endormant me laissa brûler.


"Or, pendant qu'ils s'attardaient avec moi, le feu gagnait, je ne sais comment, plus de deux mille maisons, à tel point que l'un d'entre eux s'en aperçut et cria ces mots: "
Ventre Mahomet, toute la ville brûle et nous nous attardons ici!" Chacun s'en va ainsi à sa chacunière.

"Pour moi, je prends le chemin de la porte. Arrivé sur une petite butte près de là, je me retourne en arrière, comme la femme de Loth, et je vis toute la ville en flammes, ce qui me combla tellement d'aise que je crois m'en conchier de joie; mais Dieu m'en punit bien.


- Comment? dit Pantagruel.


- Alors que, dit Panurge, je regardais plein d'allégresse ce beau feu, en me moquant et disant: "Ah, pauvres puces, ah, pauvres souris, vous passerez un mauvais hiver, car le feu est dans voire paillis!", il sortit de la ville plus de six, ou plus exactement plus de treize cent onze chiens, des gros et des petits, qui quittaient la ville tous ensemble, fuyant devant le feu. D'emblée ils accoururent droit sur moi, sentant l'odeur de ma paillarde chair à demi rôtie, et ils m'auraient bien dévoré sur l'heure si mon ange ne m'avait bien inspiré, me suggérant un remède bien opportun contre le mal des dents.


- Et pourquoi, dit Pantagruel, craignais-tu le mal des dents? N'étais-tu pas guéri de tes rhumatismes?


- Pâques d'oeufs! répondit Panurge, y a-t-il de plus grand mal de dents que quand des chiens vous tiennent aux jambes? Mais soudain je me rappelle mes lardons et je les jetai au milieu d'eux. Alors les chiens d'arriver et de s'entre-déchirer l'un l'autre à belles dents à qui aurait le lardon! De ce fait, ils me laissèrent, et moi aussi je les laisse se bagarrant entre eux. C'est ainsi que j'en échappe, gaillard et joyeux, et vive la rôtisserie!"



CHAPITRE 29
Comment Pantagruel défit les trois cents géants armés de pierres de taille, et Loup Garou leur capitaine

Les géants, voyant que tout leur camp était noyé, emportèrent leur roi Anarche sur leurs épaules, le mieux qu'ils purent, et le sortirent du fort, comme Enée sortit son père Anchise de Troie en flammes.


Quand Panurge les aperçut, il dit à Pantagruel: "Seigneur, voici les géants qui sont sortis: frappez leur dessus avec votre mât, selon les belles manières de la bonne vieille escrime, car c'est maintenant qu'il faut se montrer homme de coeur; de notre côté, nous ne vous abandonnerons pas, et soyez certain que je vous en tuerai beaucoup. Eh quoi? David tua bien Goliath facilement, et puis ce gros paillard d'Eusthènes, qui est fort comme quatre boeufs, n'y épargnera pas sa peine. Prenez courage, et frappez sur eux d'estoc et de taille."


Or Pantagruel dit: "Du courage, j'en ai à revendre. Mais quoi? Hercule n'osa jamais s'en prendre à deux adversaires en même temps.


- C'est, dit Panurge, bien chié dans mon nez. Vous comparez-vous à Hercule? Vous avez, par Dieu, plus de force dans les dents, et plus de sens dans le cul, que n'en eut jamais Hercule dans tout son corps et toute son âme. L'homme vaut ce qu'il s'estime."


Pendant qu'ils disaient ces paroles, voici arriver Loup Garou, avec tous ses géants; voyant Pantagruel tout seul, il fut pris d'une flambée de témérité et d'outrecuidance, nourrissant l'espoir de tuer le pauvre petit bonhomme; aussi dit-il aux géants qui l'accompagnaient: "Paillards de plat pays, par Mahomet, si l'un de vous entreprend de combattre contre ceux-ci, je vous ferai mourir cruellement. Je veux que vous me laissiez combattre seul: pendant ce temps vous vous amuserez à nous regarder." Tous les géants se retirèrent donc avec leur roi, tout près de là, à l'endroit où étaient les flacons, et Panurge et ses compagnons firent de même; Panurge contrefaisait ceux qui ont eu la vérole: il se tordait la gueule et crispait les doigts; et d'une voix enrouée, il leur dit: "Je renie Dieu, compagnons, nous ne faisons point la guerre. Donnez-nous de quoi nous repaître avec vous, pendant que nos maîtres s'entrebattent."


Le roi et les géants y consentirent volontiers, et les firent banqueter avec eux. Pendant ce temps Panurge leur racontait les fables de Turpin, les exemples de saint Nicolas, et le conte de la Cigogne.


Loup Garou se dirigea donc vers Pantagruel avec une massue d'acier pesant neuf mille sept cents quintaux et deux quarterons, en acier des Chalybes, au bout de laquelle il y avait treize pointes de diamant, dont la plus petite était aussi grosse que la plus grande cloche de Notre-Dame de Paris, il s'en fallait peut-être de l'épaisseur d'un ongle ou, au plus, d'un dos des couteaux qu'on appelle coupe-oreilles, pour que je ne mente pas, sinon un tout petit peu par excès ou par défaut, et elle était enchantée, de manière qu'elle ne pouvait jamais se briser, mais, au contraire, tout ce qui la touchait se brisait aussitôt.


Ainsi donc, comme il s'approchait d'un air vraiment féroce, Pantagruel, levant les yeux au ciel, se recommanda à Dieu de tout son coeur, en faisant ce serinent solennel:


"Seigneur Dieu, qui as toujours été mon protecteur et mon sauveur, tu vois dans quelle détresse je suis maintenant. Rien ne m'amène ici, sinon un zèle naturel, puisque tu as octroyé aux hommes de se protéger et de se défendre, eux, leurs femmes, leurs enfants, leurs pays et leurs familles, dans le cas où il ne s'agirait pas de ce qui t'intéresse en propre, c'est-à-dire de la foi; car en cette matière tu ne veux pas d'autre aide que la confession de foi universelle et le service de ta parole, et tu nous as interdit toutes armes d'attaque et de défense, car tu es le Tout-Puissant, qui, dans tes propres affaires, où ta propre cause est mise en jeu, peux te défendre beaucoup plus qu'on ne saurait estimer, toi qui as mille milliers de centaines de millions de légions d'anges, dont le moindre peut tuer tous les hommes, et manoeuvrer le ciel et la terre à son gré, comme jadis on put le constater dans l'armée de Sennachérib. Donc, s'il te plaît maintenant de venir à mon aide, comme c'est en toi seul que sont mon entière confiance et mon espoir, je te fais le voeu que dans toutes les contrées, aussi bien de ce pays d'Utopie que d'ailleurs, où j'aurai puissance et autorité, je ferai prêcher ton saint Evangile, purement, simplement et entièrement, si bien que seront éliminés de mon entourage les abus d'un tas de papelards et de faux prophètes, qui par constitutions humaines et inventions dépravées ont empoisonné le monde entier."


On entendit alors une voix venant du ciel, qui disait: "Hoc fac et vinces", c'est-à-dire "Fais ainsi, et tu auras victoire."


Puis Pantagruel, voyant que Loup Garou s'approchait la gueule ouverte, alla à sa rencontre hardiment, et s'écria de toutes ses forces: "A mort, canaille! à mort!" pour lui faire peur, selon la tactique des Lacédémoniens, par son horrible cri. Puis du baril qu'il portait à sa ceinture, il lui jeta plus de dix-huit caques et une mine de sel, avec lesquelles il lui remplit la gorge, le gosier, le nez et les yeux.


Mis en fureur, Loup Garou lui lança un coup de sa masse, voulant lui briser la cervelle. Mais Pantagruel fut habile, et eut toujours bon pied, bon oeil. Aussi recula-t-il du pied gauche d'un pas en arrière, mais il eut beau faire, le coup tomba sur le baril, qui se brisa en quatre mille quatre-vingt-six morceaux, et le reste du sel se répandit par terre.


Voyant cela, Pantagruel déplie superbement les bras, et, selon l'art de la hache, le frappa du gros bout de son mât, d'estoc, au-dessus de la poitrine, et, ramenant le coup vers la gauche, en cognant de taille, il le frappa entre cou et col. Puis, avançant le pied droit, il lui donna sur les couillons un coup de pointe avec le haut de son mât; à ce coup la hune se brisa et versa trois ou quatre barriques de vin qui restaient, ce qui fit croire à Loup Garou qu'il lui avait percé la vessie, et que ce vin était son urine qui en sortait.


Non content de cela, Pantagruel voulait redoubler ses efforts pour se dégager; mais Loup Garou avança sur lui, levant haut sa masse, dont il voulait cogner Pantagruel de toutes ses forces. Effectivement, il l'en frappa si vertement que, si Dieu n'avait pas secouru le bon Pantagruel, il l'aurait fendu depuis le sommet de la tête jusqu'au fond de la rate; mais le coup dévia à droite car Pantagruel l'évita d'une brusque esquive; la masse entra à plus de soixante-treize pieds en terre, à travers un gros rocher, d'où elle fit sortir un feu plus gros que neuf mille six tonneaux.


Pantagruel voyant qu'il s'attardait à tirer sa masse, coincée en terre au milieu du rocher, lui court dessus, et voulait lui abattre la tête tout net; mais son mât, par malchance, toucha un peu le bois de la masse de Loup Garou, qui était enchantée (comme nous l'avons dit plus haut). De ce fait, son mât se brisa à trois doigts de la poignée, ce qui le laissa plus estomaqué qu'un fondeur de cloches et il s'écria: "Ha, Panurge, où es-tu?"


Entendant ces mots, Panurge dit au roi et aux géants "Par Dieu! ils se feront du mal, si on ne les sépare pas."


Mais les géants étaient en pleine euphorie comme s'ils étaient à la noce.


Carpalim voulut alors se lever de là pour secourir son maître, mais un géant lui dit: "Par Golfarin, neveu de Mahomet, si tu bouges d'ici, je te mettrai au fond de mes chausses, comme si tu étais un suppositoire. Aussi bien, je suis constipé du ventre, et je ne peux guère caguer, si ce n'est à force de grincer des dents."


Puis Pantagruel, ainsi privé de son arme, reprit le bout de son mât en frappant à l'aveuglette sur le géant; mais il ne lui faisait pas plus de mal que vous ne feriez en donnant une chiquenaude sur l'enclume d'un forgeron.


Pendant ce temps Loup Garou tirait de terre sa masse, l'avait déjà tirée, et la brandissait pour en frapper Pantagruel, qui était agile à se remuer, et esquivait tous ses coups, jusqu'au moment où - voyant que Loup Garou le menaçait, en disant: "Misérable, maintenant je vais te hacher comme chair à pâté; jamais plus tu n'altéreras les pauvres gens!" - il le frappa d'un si grand coup de pied au ventre, qu'il le jeta en arrière à jambes rebindaines, et il vous le traînait ainsi à l'écorche-cul sur plus d'une portée d'arc.


Loup Garou, rendant le sang par la gorge, s'écriait:
"Mahomet! Mahomet! Mahomet!"

A ce cri, tous les géants se levèrent pour le secourir, mais Panurge leur dit: "Messieurs, n'y allez pas, si vous m'en croyez: car notre maître est fou et frappe à tort et à travers, sans regarder (ou il vous donnera un mauvais coup)." Mais les géants n'en tinrent pas compte, voyant que Pantagruel était sans arme.


Lorsqu'il les vit approcher, Pantagruel prit Loup Garou par les deux pieds, leva en l'air comme une pique son corps tout armé d'enclumes, et, s'en servant comme d'une arme, il frappait parmi ces géants armés de pierres de taille, et les abattait comme éclats de pierres que taille un maçon, si bien que personne ne passait à sa portée sans être jeté à terre; aussi, quand furent rompues ces armures de pierre, ce fut un vacarme si terrifiant qu'il me rappela le jour où la grosse tour de beurre, à Saint-Etienne de Bourges, fondit au soleil. Panurge avec Carpalim et Eusthènes pendant ce temps égorgeraient ceux qui étaient étendus à terre.


Vous pensez bien qu'il n'en échappa pas un seul, et ainsi, Pantagruel ressemblait à un faucheur qui, de sa faux (c'était Loup Garou), abattait l'herbe d'un pré (c'étaient les géants), mais à cette escrime Loup Garou perdit la tête. Ce fut quand Pantagruel en abattit
un qui se nommait Rifl'Andouille, couvert d'une grande armature, en pierres de grès, dont un éclat coupa la gorge de part en part à Epistémon, car en règle générale la plupart d'entre eux étaient armés à la légère en pierres de tuf, et les autres en pierres d'ardoise.

Finalement, voyant qu'ils étaient tous morts, il jeta de toutes ses forces dans la ville le corps de Loup Garou qui tomba comme une grenouille sur le ventre au milieu de la grand-place de la ville, et en tombant, il tua du coup un chat brûlé, une chatte mouillée, une canepetière et un oison bridé.

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